dimanche 21 juin 2009

Yves Beauchemin retrouve la voix du conteur

Après «Le Matou» et «Juliette Pomerleau» qui ont marqué l’imaginaire des Québécois, Yves Beauchemin nous entraîne dans un conte où certains travers de notre société font surface.
Un jeune renard attire tous les regards avec sa fourrure d’un bleu éclatant. Il naît dans une famille singulière. Ses parents ont le don de la parole et son père Albert sillonne les routes au volant de son camion tandis qu’Iphigénie, la mère, s’occupe de sa tanière, la seule à avoir l’électricité au Québec. Autour du jeune renardeau gravite Octave, un ours au grand cœur, un canard à  la force herculéenne et Bruno le squelette qui doit se faire discret. Sa nature fait qu’il affole les humains quand il se pointe. De temps en temps, ils reçoivent la visite d’une famille de fantômes.
L’idée n’est pas nouvelle, Monsieur de Lafontaine a donné la parole aux animaux dans ses fables et il n’est pas rare de croiser un animal à la langue bien pendue dans les contes traditionnels. Yves Beauchemin retrouve une longue tradition.
Tout pourrait aller comme dans le meilleur des mondes s’il n’y avait une sorcière qui dissimule bien son jeu.
«Gertrude Grondin cachait à tous son état de sorcière. Officiellement, elle était brodeuse de voiles à bateaux. Comme il n’y avait pas beaucoup de bateaux à voiles dans la région, et encore moins de personnes désireuses d’orner leurs voiles de broderies, les affaires étaient plutôt calmes. Gertrude Grondin s’en fichait, son métier lui servait uniquement de façade, ce qui lui permettait des activités autrement lucratives (et la plupart du temps illégales).» (p.47)
La sorcière, qui a changé son nom pour celui d’Eulalie Laloux, jette un sort à la famille de Renard Bleu et les plonge dans un profond coma. Pour contrer le sortilège, il doit résoudre une énigme.
«Écoute-moi bien, car je ne répéterai pas. Si tu veux que tes parents et ta petite vaurienne de sœur reviennent à la vie, il faudra que tu leur laisses tomber dans la gueule cinq gouttes du sang d’un enfant qui aura dormi pendant quatre-vingt-dix ans. As-tu compris? Cet enfant existe! Il suffit de le trouver.» (p.68)

Mauvais sort

Toute l’histoire consiste à déjouer le mauvais sort et à percer cette énigme. L’aventure mènera Renard Bleu, Octave l’ours et le canard athlétique aux quatre coins du Québec. Ils rencontreront un premier ministre fort soucieux de son image, un homme d’affaires connu, un ermite abitibien plutôt étrange. Ce sera pourtant Bruno le squelette qui trouvera la clef de l’énigme.
«Bon sang! rappelez-vous la phrase qu’elle m’a dite! «Là où se trouve l’enfant qui dort depuis quatre-vingt-dix ans, on marche sans toucher le sol et il n’y a pas de vent.» Qui marche sans toucher le sol? Les poissons, bien sûr. Et dans le fond de l’océan, il ne peut y avoir de vent, car il n’y a pas d’air. Que dites-vous de ça?» (p.272)
On retrouvera finalement l’enfant qui repose dans la voûte du Titanic, au fond de l’océan Atlantique. Renard Bleu réussira l’impossible avec l’aide de ses amis, particulièrement du bébé fantôme. Ils délivreront l’enfant et ramèneront la famille de  Renard Bleu à la vie. Tout est bien qui finit bien.
Intérêt

L’intérêt de ce conte plein de rebondissements et d’inventions, repose sur des clins d’oeil au monde contemporain. Les politiciens avec Jean Charest en tête, l’homme d’affaires Paul Desmarais et certains fonctionnaires qui étourdissent Renard Bleu avec leur jargon.
«Au risque, monsieur Renard Bleu, d’insatisfaire en vous une appétence longuement nourrie, je me dois de fournir à votre système cognitif les éléments suivants : notre chargé de programmes scientifiques, monsieur Franz-Ferdinand Bhottyne, se voit force vous imposer sa malheureuse absence et m’a demandé de le suppléer pour l’occasion.» (p.122)
Yves Beauchemin s’amuse et il est difficile de ne pas en faire autant. Le conteur envoûte le lecteur qui accompagne Renard Bleu le sourire aux lèvres. Comme si nous avions été ensorcelé par la vilaine Eulalie Laloux. Une belle lecture pour l’été.

«Renard bleu» d’Yves Beauchemin est publié aux Éditions Fides.