samedi 6 juin 2009

Pascale Bourassa, une véritable révélation

L’histoire pourrait se situer en 1920 ou en 1940. «Le puits» de Pascale Bourassa nous plonge dans un Québec où l’Église prônait le retour à la terre et les familles nombreuses. La seule véritable richesse était les enfants. Le corps des femmes appartenait à Dieu et à l’État, autant dire aux hommes. Un roman d’une rare intensité. Une nouvelle romancière étonnante.

Albertine et Angélique sont quasi des jumelles. L’une précède l’autre de quelques mois dans la vie. Elles deviendront rapidement des inséparables. L’une rêve de fuites, d’amours physiques et de sensualité tout en ayant peur de l’inconnu; l’autre s’efface et vit par procuration auprès de sa soeur.
Les parents se sont aimés pourtant dans une autre vie. Lina, la mère, était belle, aimait la danse, les rires, mais il y a eu ce drame qui a décimé sa famille. Elle a épousé le fils du forgeron qui tournait autour d’elle. Pas l’amour, mais un renoncement! Adieu les danses, les petites robes à fleurs bleues. Ne restent que les tâches, les enfants innombrables, le devoir pour ne pas provoquer la réprobation des autres.
«La mère connaissait son devoir. Elle avait embrassé sa toute première quand elle était partie, un chaste baiser sur la joue, elle lui avait envoyé la main et était rentrée dans la maison en s’emparant déjà d’un linge à laver. Il n’y avait pas de larmes à avoir, car les regrets ne servaient à rien. Et la mère s’était vite mise à laver le plancher pour oublier, oublier les regrets : les regrets semblaient inoffensifs, mais ils étaient très dangereux, vicieux – mine de rien, ça pouvait briser, ça nous consumait et ça tuait à petit feu.» (p.18)
La mère meurt en accouchant du seizième enfant. Le père devient survit sans plus, un véritable fantôme.

La vie des filles

Angélique, la passionnée, guette Josef, le fils des voisins qui bêche la terre avec ses gros bras et son dos «nu qui pleurait, un dos triste qu’on aurait voulu caresser.» Elle sait que cette attirance est dangereuse tout comme ce goût pour l’ailleurs.
«Angélique n’aimait pas ses envies de partir au loin, de fuir le plus loin possible et le plus vite aussi, de peur d’être rattrapée, d’être avalée. Quelque chose se tramait, et elle n’aimait pas ça. Elle aurait voulu fuir avant que tout n’éclate, que l’ombre se referme sur elle et ne l’entraîne dans le fossé qui s’élargissait sous ses pieds.» (p.22)
Elle a vite fait de séduire Josef et un enfant s’installe en elle. Que faire sinon l’épouser? Tous vivent dans la maison familiale. Rapidement Angélique offre son mari à sa sœur et le fils qu’elle met au monde. Elle va à la ville, devient peintre, peut enfin vivre ses passions. Elle croit bien échapper au sort réservé aux femmes, mais ce n’est pas si simple.
Chacun des personnages hurle sa douleur et tente de dompter sa vie. Un chœur où Anthony, le petit garçon blond d’Angélique, demande à sa mère de revenir, où Josef n’arrive plus à refaire surface devant le désespoir d’Albertine. Au bout d’une terrible dépression, celle-ci se jette dans le puits pour mettre fin à ses souffrances.
Ce suicide traverse le roman, comme un ralenti sans fin. Albertine revoit sa vie, ses espoirs, ses relations avec sa sœur sans qui elle ne peut vivre.

Roman rare

Rares sont les romans qui portent autant de colère. Une révolte contre la malédiction d’être femme, la maternité qui brise le corps. Le beau rêve d’amour s’avère le plus terrible des pièges. C’est cette force de vie en elles qui se retourne pour les détruire et les déformer. Albertine et Angélique ont vu leur mère mourir devant une toile où le sang giclait. Toutes sont écrasées par une fatalité. Comment échapper à son destin biologique?
Un roman d’une force terrible, une véritable bombe qui vous pulvérise. Un souffle incantatoire qui nous hante longtemps. Les pulsions des femmes, leurs cris de révolte et de rage explosent dans des tableaux bouleversants. Pascale Bourassa nous entraîne à la limite du supportable. À peine tolérable. Un premier roman, une écrivaine qui s’affirme.

« Le puits » de Pascale Bourassa est paru aux Éditions de La grenouille bleue.

dimanche 31 mai 2009

Michael Ignatieff présente sa famille

Michael Ignatieff, dans «Terre de nos aïeux», s’attarde à ses grands-parents maternels, les Grant. Le plus mythique est certainement son arrière grand-père, George Monro Grant.
Né en 1835 à Pictou en Nouvelle-Écosse, George Monro Grant étudie en Écosse et revient à Halifax comme pasteur. Collaborateur au journal «The Chronicle Herald» il prône l’adhésion de la Nouvelle-Écosse à la confédération canadienne.
En 1872, il traversera le Canada, note tout dans ses carnets. Il publie son récit de voyage en 1873. Sa mission est de voir s’il est possible de construire une voie ferrée qui ira de l’Atlantique au Pacifique.
Les bateaux et le train n’allaient pas plus loin que «Collingwood, sur la rive sud du lac Huron», explique le chef du Parti libéral du Canada. «C’est là que s’arrêtait le Canada, du moins en ce qui concerne le chemin de fer». Les aventuriers ont dû faire le reste du voyage à la manière des coureurs des bois. «À mi-chemin de la traversée du continent, le cheval, la charrette et le canot se substituaient aux moyens de transport modernes.»

Premières nations

Les voyageurs croisent des métis et des autochtones. Des réflexions surgissent sous la plume de l’observateur.
«Et maintenant une race étrangère envahit le pays et trace des lignes pour ériger des clôtures et dire «Ceci est à moi, pas à vous» jusqu’à ce que le propriétaire d’origine ait tout perdu. Tout cela est peut-être inévitable, mais pour agir comme nous voudrions nous-mêmes être traités, au nom de la Justice et du «droit sacré» à la propriété, ne faudrait-il pas assurer à l’Indien une compensation généreuse et, si possible, permanente.» (p.53)
Le train sera construit. L’Ouest s’ouvrira à la colonisation et Louis Riel est pendu. C’est la fin du rêve d’une nation métisse et francophone. Quant aux autochtones, ils ne sont toujours pas reconnus et les négociations de l’Approche commune s’éternisent.

Pédagogue

Le grand-père William Lawson Grant participe à la Première Guerre mondiale et ne s’en remettra jamais. Il connaît cependant une brillante carrière comme pédagogue à Upper Canada College.
«Il souhaitait que l’école s’inspire de la méthode française d’enseignement des langues, qu’il avait tant admirée à Paris. Il voulait qu’il y ait moins de latin et de grec et davantage de sciences et de mathématiques, moins d’examens et plus d’éducation physique. L’enseignement devait être ouvert à l’actualité et au reste du monde, et il fallait offrir des bourses d’études pour les garçons issus de familles pauvres.» (p.117)
Le plus original sera l’oncle de Michael Ignatieff, George Parkin Grant. Pacifiste, il refuse de s’enrôler lors de la Seconde Guerre mondiale, préférant «servir» dans les quartiers populaires de Londres que les Allemands bombardent. En 1965, il écrit un essai où il questionne l’avenir du Canada.
«Le postulat de Lament for a Nation est simple et direct. Le Canada est passé du statut de colonie à celui de nation pour redevenir une colonie. Le pays est passé de l’assujettissement à l’Empire britannique à une soumission à l’impérialisme des Etats-Unis. Dans ce processus, il a perdu son identité et son âme. Ce n’est plus qu’une question de temps : il va disparaître.» (p.156)

Rêver le Canada

Michael Ignatieff, descendant de réfugiés russes arrivés au pays en 1928, rêve d’un Canada où le Québec pourra exporter son électricité dans l’Ouest et le Manitoba son pétrole dans l’Est. Avec John Saul, il croit à la présence canadienne dans l’Arctique. «Aimer un pays est un acte d’imagination. …Nous ne connaissons qu’une partie de la réalité. Il faut imaginer le reste», écrit-il dans son introduction.
Un livre intéressant pour les figures évoquées et aussi pour l’esquisse de ce qui pourrait devenir le programme du chef du Parti libéral du Canada. L’auteur aurait pu s’attarder un peu plus aux femmes de la famille Grant qui semblent aussi intéressantes qu’originales.

«Terre de nos aïeux» de Michael Ignatieff est publié chez Boréal Éditeur.