Il est risqué de s’aventurer de nos jours dans une histoire d’amour, de tenter de rivaliser avec les figures mythiques que sont Roméo et Juliette, Tristan et Isolde, Donalda et Alexis. Nous sommes plutôt à l’ère des passions fugitives, des élans qui durent moins que le temps des lilas.
Pourtant Sergio Kokis a réussi des pages magnifiques dans «Les amants de l’Alfama» et «Négao et Doralice». Daniel Castillo Durante a réalisé l’exploit dans «La passion des nomades» et «Un café dans le Sud». Les deux ont créé des figures inoubliables. Et maintenant Pierre Gariépy arrive avec «Lomer Odyssée»!
Un jeune homme, un enfant presque, quitte sa famille pour devenir marin. Il refuse de descendre dans les ports pendant les escales. Il a le don des mots et écrit des lettres pour les membres de l’équipage. Une manière de dire l’amour, la souffrance et d’entretenir l’espoir.
Un soir de garde, il surprend une prostituée sur le quai. Elle a été battue. Sa vie bascule. Il devine qu’il ne pourra plus la quitter.
«Je ne saurais jamais son âge, mais en découvrant de près son visage dans la lueur de mon allumette, j’ai bien constaté qu’elle était vieille, tellement plus vieille que moi. Mais j’ai bien vu aussi, à la lueur de ses yeux, que cela n’avait aucune importance et n’en aurait jamais aucune entre nous. Nous yeux avaient le même âge, et c’est tout ce qui comptait après tout. Elle n’a pas dit merci. Elle m’a juste dit Viens. Et je l’ai suivie, comme un apôtre, Dieu.» (p.19)
La Gueuse
La passion pousse La Gueuse et Lomer l’un vers l’autre, comme les vagues de fond qui viennent se casser sur la plage. Ils vivent le présent, buvant et mangeant jusqu’à rouler sous la table. C’est l’exultation de tous les sens. Ils finissent par s’épouser et connaître une nuit à secouer les colonnes du ciel, à retarder la montée du soleil.
«J’ai plongé en elle. Ma Gueuse, c’était la mer, tant ses chairs pendaient, flasques et fluides, et moi, j’adorais. Spongieuse, qu’elle était. Toute molle, c’était parfait, alors qu’en dedans elle allait être toute dure, j’en étais sûr. Comme une vierge, j’allais bientôt pouvoir le confirmer. Mais pas encore ; personne n’était pressé. Pas moi. Pas elle.» (p.63)
On voudrait que cette histoire continue jusqu’à épuisement de la vie, mais dans un port, quand sa Vierge est prostituée et qu’on côtoie tous les truands, le pire doit arriver.
Le drame
Une vengeance sur un proxénète engendre la violence, le viol et la mort. La Gueuse est assassinée et Lomer emporte sa bien aimée au large, naviguant sur le père de sa bien-aimée, un géant que l’on a empaillé et qui sert de radeau. Pour joindre sa douleur aux chants des sirènes peut-être.
«Un géant momifié, comme un Christ, dans des flots de diesel, et moi sur lui qui ramais, avec mon ange affalée dessus nous. C’était plus qu’un radeau, beau-papa, c’était un paquebot tant il était grand et confortable, presque luxueux tellement il était familial. On s’était rendu loin à bord de son père, ma Gueuse et moi. J’allais, entre les flots, déposer son corps adoré, pour qu’elle remonte, mon grand Amour, vers le soleil un jour, vers moi qui l’attendrais tout le reste de ma pauvre vie qui n’en valait plus la peine, pour qu’elle me revienne, mon âme. Je l’attendais.» (p.98)
Une manière de sublimer l’horreur, d’inventer une véritable scène biblique qui transcende la tragédie. Pierre Gariépy plonge dans un mythe qui subjugue et fascine. Tout est possible dans un tel récit, même l’espoir d’un recommencement.
Une fable
«Lomer Odyssée» est porté par une écriture qui transcende la crasse, la misère, la violence, le sang et toutes les bassesses humaines. La passion et l’amour transfigurent tout dans une forme d’extase mystique. La cadence ne se casse jamais et le romancier nous tient en apnée, à la limite du possible et de l’imaginaire.
Un délice pour le lecteur qui aime qu’un livre ne soit pas qu’une simple histoire et qui aime plonger dans les situations les plus folles. Une magie que la littérature peut offrir. Pierre Gariépy est ce genre de magicien.
«Lomer Odyssée» de Pierre Gariépy est publié chez XYZ Éditeur.