mercredi 15 août 2007

Un humaniste qu’il fait bon redécouvrir

Quelques années après le décès de Gilles Hénault, un poète important, les Éditions du Sémaphore ont entrepris de rééditer l’œuvre complète de l’écrivain et du journaliste. Une heureuse initiative et une belle redécouverte.
Au Québec, rares sont les écrivains et les poètes qui «survivent» à leur mort. Il faut une équipe attentive pour se pencher sur l’héritage de ces héros de l’écriture et garder leurs œuvres dans l’actualité. Gaston Miron a ce privilège. Des fidèles éclairent son œuvre importante. Qui s’attarde maintenant au poète Gilbert Langevin dans l’univers littéraire et médiatique? Qui entreprendra de le sortir de l’oubli?
Le second volet de la réédition de l’œuvre de Gilles Hénault, «Graffiti et proses diverses», reprend des réflexions écrites entre 1939 et 1989. Le lecteur fait la connaissance d’un jeune homme encore imbibé par ses études classiques et l’accompagne jusqu’à l’âge d’homme où il se questionne sur la vie et l’écriture. Un parcours remarquablement juste et pertinent.
Bien sûr, les textes parus alors qu’il avait dix-neuf ans ont pris des rides, mais Hénault a trouvé rapidement sa voix alors que le monde était déchiré par une terrible guerre.

Actualité

«D’Odanak à l’Avenir», un récit qui raconte l’histoire du Québec et de la famille du poète, se lit encore avec bonheur. Un texte fort juste, pertinent qui permet de survoler une époque que l’on a tendance à occulter de nos jours. Il n’y a pas si longtemps au Québec, on croyait que l’avenir se cachait au bout du rang. Il suffisait de rouler ses manches et de se mettre à l’ouvrage pour la forger.
J’aime particulièrement les textes courts, les réflexions d’une justesse que bien des écrivains de la post-modernité auraient avantage à lire.
«Il me faut des textes troués, spongieux, poreux dans lesquels le lecteur puisse s’infiltrer, s’embusquer. Je déteste les textes qui vous conduisent par la bride, comme si vous étiez un cheval ou un âne et les textes durs, construits, les murs de syllogismes, les paradigmes de l’enfermement comme diraient de savants confrères. Il me faut des textes où l’air circule entre les phrases. C’est le style à venir.» (p.149)
Une qualité d’écriture constante, que ce soit dans les textes écrits à vingt ans ou quelques années avant sa mort. Des textes qui témoignent de l’humaniste que fut ce poète qui a marqué certainement une génération et ouvert bien des fenêtres. Et quel œil pétillant, quel humour subtil! Un bonheur! La littérature a besoin de figures flamboyantes mais aussi de ces artistes qui travaillent dans l’ombre et la douceur des jours. Gilles Hénault aura été de ceux-là.

«Graffiti et proses diverses» de Gilles Hénault est paru aux Éditions du Sémaphore.

mardi 14 août 2007

Marguerite Duras continue de fasciner

Dix ans après la mort de Marguerite Duras, survenue le 3 mars 1996, des lecteurs, des amis du Québec et de la France, se souviennent.
Ils sont quinze femmes et dix hommes à jouer le jeu et à écrire une lettre à Marguerite Duras. Certains l’ont côtoyée ou croisée. Un moment qui s’oublie difficilement. D’autres ont fréquenté ses œuvres et ce fut tout aussi marquant.
Le lecteur n’apprendra rien de nouveau après les biographies et les textes qui ont à peu près tout dit des idées et de la façon d’être de Duras, cette écrivaine qui donnait tout à l’écriture et au texte. Une femme entière dans ses exigences, arrivant mal à séparer sa vie de son oeuvre. Pas étonnant que les hommes et les femmes qui l’ont approchée aient été marqués. Yann Andréas, son dernier «disciple», aura eu besoin de dix ans avant de redevenir un vivant à peu près autonome après avoir été subjugué par l’auteure de «L’Amant».

Fascination

Tous ces textes illustrent la fascination que l’écrivaine exerce encore. Elle reste vivante pour ceux qui l’ont entrevue telle une météorite dans la nuit ou été happés par son univers.
La voix de Duras, sa musique particulière, ce chant envoûtant porte peut-être aux confidences et à l’aveu. Duras, c’est le murmure, la petite musique, la voix qui souffle à l’oreille et effleure l’être. Peu d’écrivains peuvent se targuer de marquer les lecteurs de cette façon.
«Et comme pour beaucoup, parler de Marguerite Duras c’est parler de soi, de sa relation – forcément intense - avec elle. J’ai parlé de moi et je m’excuse si je vous ai ennuyée.» (p.51)
André Roy ne peut que le constater dans sa missive.

Magie

Certains semblent incapables de prendre leur distance. Danielle Laurin, par exemple, lui a consacré un livre dont je parlais dans le dernier numéro de «Lettres québécoises».
«Même si vous êtes morte et enterrée depuis dix ans, c’est plus fort que moi, j’ai besoin de vous savoir là. Même disparue, vous êtes encore là pour moi. Ça aussi, je vous l’ai déjà dit. Je crois bien vous avoir tout dit dans la longue lettre que je vous ai écrite il n’y a pas longtemps.» (p.121)
Duras, qu’elle a lue à dix-neuf ans, a donné un ton à son écriture. Comme si elle avait appris la respiration de son modèle et sa distanciation aussi.
«Lettres à Marguerite Duras» est une belle manière de rendre hommage à cette grande dame du cinéma et de la littérature. On se souvient et l’on se souviendra dans vingt ans. Il en est ainsi quand on effleure un mythe.

«Lettres à Marguerite Duras» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

lundi 13 août 2007

Beaucoup plus de plumage que de contenu…

«De toute manière, la présente édition aura été, pour l’auteur, une occasion de donner un livre qui convient mieux à sa vanité. C’est un cadeau qu’il s’offre à lui-même ainsi qu’à quelques amis discrets ou disparus, qu’il remercie de leur connivence.» (p.91)
Magnifique recueil que celui de Jean-François Dowd. Papier ivoire, illustrations soignées, travail d’artiste. Un bel objet que les collectionneurs aiment feuilleter et toucher. Marc-Antoine Nadeau, dans des dessins et des aquarelles, allie couleurs et lignes pour créer un monde tourmenté. L’espace se défait dans ces tableaux où la femme occupe souvent le centre. Tous les objets gravitent autour d’elle, oublient les lois de la physique pour créer un monde étrange. Une belle transparence aussi, une sorte de légèreté et des «spirales» qui traduisent les peurs et les fantasmes. Fort intéressant. Malheureusement ou volontairement, on a omis d’indiquer les titres de ces illustrations. Peut-être aussi que Dowd était trop emporté par les méandres de sa prose pour s’attarder à ce genre de vétilles.

Romantisme

Les récits de Dowd nous plongent dans un romantisme où les sentiments imprègnent le monde qui devient le miroir des pensées qui agitent l’être. Comment ne pas penser aux textes de Marcel Portal où nature et amours soufflent l’âme et illustrent une forme de névrose.
Dowd esquisse des univers feutrés où le rêve et la mélancolie marquent l’écriture comme des points de broderie. Une contemplation et une méditation qui empruntent des sentiers trop fréquentés. Femmes, oiseaux, arbres et ruisseaux. Tout y est!
«Une femme, non loin, se signe avec son fard : c’est la même qui te laissait entendre, l’une après l’autre, les extrémités de sa voix, ses cheveux de pure pluie relevés sur la nuque. Oh, cette surprise lorsqu’elle s’était approchée plus que de coutume – jusqu’à n’être plus qu’à un étirement de la main. Ce grain qu’elle désancrait de ses hanches ou tirait de sa chevelure… Les yeux d’un noir fou, d’abord, avaient frappé en toi, puis le corps méandreux, étrange, à explorer, puis la boutonnière livrant la gorge et l’éperon, et les seins précis avec leurs rites séparés!» (p.33,34)
On se lasse vite de cette écriture empruntée.

Question

Un recueil qui détonne dans le paysage de la poésie, une approche désuète. Le lecteur peut se demander comment un tel recueil peut se retrouver aux Éditions du Noroît, une maison renommée pour sa qualité et sa rigueur. On comprend mieux quand on lit dans la page des crédits que la société DesDowd inc y est allée d’une «contribution généreuse».

«Petites morts à fredonner» de Jean-François Dowd est paru aux Éditions du Noroît.