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mardi 2 avril 2019

LA MORT NOUS COUPE DE TOUT

JOSÉE BILODEAU, dans Au milieu des vivants, aborde un sujet qui nous touche tous, qu’on le veuille ou non. La mort. Pas la sienne qu’on tente de repousser le plus loin possible et de biffer de nos pensées, mais celle d’un compagnon qui était le soleil autour duquel la narratrice gravitait. Un coup de vent, une neige nouvelle, un claquement des doigts et l’homme de tous ses désirs flanche à l’urgence, à l’hôpital où on est censé sauver tout le monde. Le cœur. Véritable coup de couteau entre les omoplates, la femme n’arrive pas à comprendre, foudroyée par la douleur. Comment peut-elle respirer encore, habiter un corps qui ne sait plus rien de la vie ?

Peut-on s’habituer à l’absence de l’être aimé ? J’allais écrire à la réalité de la tragédie qu’est la mort. Il faut certainement parler du vide terrible que creuse cette disparition, de l’hébétude qui se niche dans la tête quand cela vous heurte, de façon subite ou après une longue maladie. Cet autre, cette présence, ce regard qui vous permet d’avancer à peu près correctement dans les rues du jour, n’est plus. La mort d’un frère, d’une sœur, du père ou de la mère, c’est être amputé d’un grand bout de son histoire, de sa propre conscience. Tous ces amis qui vous accompagnent pendant des années et qui brusquement, un matin, sont aspirés hors du temps. Et l’après, ce proche devenu un corps étranger flottant dans l’indifférence.
J’ai affronté souvent la mort. L’impression qu’une fatalité frappait aveuglément à gauche et à droite dans ma famille. Comme si elle m’arrachait un pan de mon âme et que j’étais privé d’une partie de mon vécu, éloigné des chemins que je fréquentais.
La mort, on peut arriver à l’apprivoiser quand la maladie pousse vers ce saut inéluctable, mais il y a la fin que personne ne prévoit. Cet homme si présent il y a quelques heures à peine et qui disparaît dans le claquement d’une porte.

BASCULE

Une seconde, le temps d’un soupir et l’univers bascule. L’amoureux n’est plus, ne reviendra jamais et c’est la dérive sans aucune chance de s’accrocher à quoi que ce soit.

J’apprends sa mort brutale un soir de décembre. La première tempête de l’hiver a transformé le paysage, les voitures ensevelies. Pas un chien ne traîne dans la rue, les bruits de la ville sont étouffés par la neige dans la nuit qui tombe. Tout est si blanc déjà. (p.13)

Tout s’arrête dans la ville et c’est comme si la narratrice était poussée à l’écart. La Terre cesse de tourner et l’air manque. Le jour, lui enlève son homme et ces instants privilégiés, la prive de ses regards, de ses gestes et de ses mots. Pas un cri ne peut changer cette réalité, pas une larme ne peut provoquer le retour en arrière. Le monde s’écroule. Comment respirer encore, demeurer debout dans les abîmes du jour ? Un trou noir l’aspire, lui arrache la peau du cœur et de l’âme.
Que faire avec son corps, cette mécanique souffrante, cette apparence de femme qui va au bout de son souffle ? Celui qui l’animait, la réveillait, la stimulait, la caressait et la faisait se sentir si vivante n’est plus, ne reviendra pas, ne lui montrera plus jamais qu’elle est belle quand il la découvrait avec ses mains.

Le monde, désormais, n’a plus la même texture. Les gens, les repas, les heures sont de papier sablé. Une guerre éclate et je frémis à peine. Je ne sais plus lire ; tout m’est opaque. Les jours passent sans me toucher. L’hiver, le printemps n’arrivent plus à m’émouvoir. (p.17)

Comment s’accrocher à des mots et avancer sur les chemins du quotidien ? Quels bouts de phrases peuvent apaiser la douleur, l’absence, l’amputation de l’être ? Comment écrire ce qui étouffe, broie la poitrine, vous abandonne dans les murmures d’une résidence mortuaire où la famille ne sait plus où se tenir. Que faire devant ce corps fossilisé, cet étranger maquillé et méconnaissable ? Quelle mutation les responsables ont imposée à cet homme si proche et si présent il y a quelques heures à peine ?

SITUATION

Elle était l’étrangère, celle qui menaçait l’équilibre de cette famille, celle qu’il abandonnait souvent, celle du deuxième paragraphe, de l’autre chapitre. Il était le compagnon de cette épouse et le père de ces enfants, elle attendait sa présence, ces éclaircies qui permettaient un bout de chemin ensemble. La maîtresse est privée de tout, même de sa douleur et de ses larmes dans ce lieu funéraire où elle est un fantôme que tous évitent.
Quelques semaines après cette tragédie, n’en pouvant plus, elle s’éloigne de ce décor qui la pousse seconde après seconde vers ce qui ne peut plus être. Elle s’exile pour retrouver son corps, mettre une distance, respirer mieux peut-être.

Il existe au Mexique des fils apparents et des passeurs pour l’autre rive. La mort, là-bas, a quelques visages auxquels on peut s’adresser, la Catrina, la Santa Muerte, la Pelona. Les Mexicains célèbrent leurs morts — avec respect, avec excès, avec joie. Ils leur dressent des autels magnifiques pour partager encore un repas, boire un autre verre avec eux. (p.21)

Une réfugiée de l’amour, une convalescence pour donner du temps à son corps et peut-être apprivoiser ce moment qui l’a foudroyée. Revenir en elle, se tenir la tête hors de la douleur, respirer dans le chaud du monde.

IMPUISSANCE

Nous sommes si gauches avec nos disparus, ne savons plus comment nous en séparer, quoi dire depuis que les rites de la religion catholique sont devenus désuets. Et quand on les sort des boules à mites, ces formules, elles sonnent si creux. Je l’ai vécu récemment lors du décès de mon neveu. Des textes répétés machinalement, des mots qui roulent comme des billes sur un plancher de bois franc. Des phrases qui ne touchent plus personne. Et que faire de celui qui entreprend le voyage sans retour ? Les cendres dispersées à tous les vents pour ne plus jamais y penser, annihiler une présence dérangeante. Ou encore ces salons dans les funérariums, ce mur qui ressemble aux casiers de la poste que jamais personne ne viendra ouvrir. Tout pour éviter les cimetières, le recueillement, la méditation devant une pierre tombale où un nom résiste aux intempéries, entre deux dates qui coincent une existence, compresse une vie longue ou courte.
Les heures font leur chemin. Le corps se faufile dans les méandres du jour. Peu à peu, la narratrice retrouve le petit espace de son être et peut se tenir droite après un séjour dans ce pays du Mexique où la mort est une fête, où l’on invite « les morts à table » pour paraphraser Léo Ferré. Il faut bien revenir à soi un jour, rentrer à la maison, reprendre sa place, parcourir sa rue et retourner au travail.

Je pense à la vie qui m’attend, aux espérances si élevées des gens, aux souvenirs partagés qui forment la texture du temps. Je pense à ses cendres qui virevoltent quelque part loin d’ici, mêlées aux feuilles mortes, aux tourbillons de poussière, éparpillées dans le bruissement des arbres et le chant des oiseaux. Nos secrets n’habitent qu’en moi. D’en être la seule dépositaire les rend moins réels et plus blessants. Je ne sais pas où vont les sentiments des morts, ni leur mémoire, s’ils n’existent que dans l’esprit de ceux qui restent derrière, déformés et grotesques. Je suis fatiguée. (p.113)

Josée Bilodeau nous fait vivre un voyage dans le pays du deuil et de la perte, d’un amour kidnappé en plein jour, dans la beauté d’une première neige. Que dire devant un tel récit, sinon se recueillir et baisser la tête. Les mots peuvent si peu quand la mort frappe autour de vous. Réfugiée du silence, l’écrivaine retrouve le souffle pour continuer son métier de femme. La vie est plus forte que tout, nous le savons et nous devons secouer des souvenirs qui deviennent flous, hésitants avant de n’être plus qu’une photo ou une lettre qui jaunit. Nous semons des artéfacts qui s’éloignent peu à peu de leur signification et il faut certainement cela pour s’avancer à son tour vers le dernier rendez-vous.

Je fais toujours ce rêve. Il vente à écorner les bœufs. Je marche en tenant fermement contre moi son urne funéraire. Arrivée au bord d’une falaise, j’ouvre l’urne et l’offre au vent. Nos secrets s’éparpillent, se transforment en flocons fous dans lesquels les oiseaux se perdent. Ils vont un à un s’écraser sur le roc de la falaise. (p.139)

Une bourrasque, un souffle, des souvenirs qui s’effacent peu à peu et le chemin se replie derrière et devant. C’est la vie, le temps des terribles expériences. Nous ne pourrons jamais gagner sur cet adversaire qui vous guette dans l’ombre. C’est la tragédie du vivant et sa fascinante beauté. Josée Bilodeau est poignante dans ces pages lues tout doucement, avec dévotion pour communier je dirais avec cette douleur, ce courage patient qui la pousse à réinventer ses jours. Elle m’a fait me retourner vers mes morts si nombreux qui viennent me visiter parfois, dans un matin de grands vents, quand les pensées bondissent dans toutes les directions avec les corneilles qui se plaignent de la longueur des heures. Un récit, des confidences, une entreprise de survie, une avalanche devant la perte et l’absence. Toute cette souffrance qui noie le cœur et l’âme. Un texte bouleversant, nécessaire. Oui.


AU MILIEU DES VIVANTS, ROMAN de JOSÉE BILODEAU publié aux ÉDITIONS HAMAC, 2019, 150 pages, 17,95 $.
  

https://www.hamac.qc.ca/

jeudi 15 mai 2008

Josée Bilodeau nous plonge dans la ville

Le véritable personnage de ce roman de Josée Bilodeau est un quartier de la ville. On devine que c’est Montréal. Un bout de rue, une certaine artère avec tous les personnages qui l’habitent, qui font vivre cet endroit. Avec leurs drames aussi, leurs malheurs comme leurs bonheurs.
Ce n’est pas sans rappeler «Mrs Dalloway» de Virginia Woolf ou encore Marie-Claire Blais dans sa grande fresque qu’est «Soif» et les romans qui ont suivi. Une évocation, un petit air de parenté, rien de plus parce que Josée Bilodeau a bien sa manière de faire, de dire, de montrer les gens. On circule, on se promène d’un bout à l’autre d’une journée du mois de mai qui se prend pour un condensé de l’été. La chaleur colle au corps et au cœur, au cerveau presque. Tout s’échiffe, tout se défait, tout éclate dans un orage fou qui secoue la vie.
Nous allons ainsi d’un personnage à l’autre, ils doivent être une bonne douzaine à se promener ainsi dans le quartier. Des jeunes, des enfants, des adolescents, des adultes qui vivent l’amour, les grands déchirements, des tragédies qui brisent l’être et vous laissent comme un pantin. Parce que la mort frappe aveuglément, la maladie s’installe quand on commence à sentier le vieux, quand tout bascule aussi et que l’on n’ose plus mettre le nez dehors, même quand on étouffe. C’est une journée où l’on prend des grandes décisions de quitter l’homme avec qui on vit depuis trop longtemps, où une rencontre change la vie et permet de croire que l’avenir a le droit d’exister. C’est tout cela que Josée Bilodeau met en scène.

Fresque

A vrai dire, je me réconcilie avec le mot fresque. C’est tout un quartier, une rue qu’elle anime, des drames qui couvent et qui explosent quand la marmite devient trop chaude. Des accusations d’agressions sexuelles qui se formulent, un drame qui bascule, un cuisinier inconscient qui empoissonnent tout le monde et qui change la vie de plusieurs clients. Une jeune adolescente qui vit sa première journée de femme en ayant ses règles et qui a rendez-vous avec la mort sans le savoir.

On se perd dans ce labyrinthe, on finit par s’attacher à certains personnages, on les reconnaît d’un tableau à l’autre, on les suit dans leurs courses ou leurs dépressions. On visite la ville, on sent la chaleur, la vie, les pulsions qui font que la vie change et reste toujours un peu pareil.
Une écriture efficace, sans fioriture, sans complications non plus. Le défi est grand parce que le lecteur a du mal à s’accrocher à des personnages. Pourtant c’est là un portrait de la vie, une tranche de la ville qui s’anime, qui bouge, qui est portée par ses habitants qui souffrent, aiment, pleurent et luttent pour continuer à vivre.
On finit par plonger dans ces courts tableaux, de bondir de l’un à l’autre, avec une hâte et une anxiété particulière. C’est probablement le tour de force que réussit cette écrivaine. Nous faire embarquer dans ce puzzle et nous y accrocher pour suivre tous les personnages qui nous arrêtent et nous bousculent.
L’entreprise était hasardeuse mais Josée Bilodeau relève le défi et embarque son lecteur qui doit accepter de travailler. Ce n’est pas une lecture passive que demande ce court roman. Il faut s’activer, bouger, suivre les personnages, comme si on décidait de passer toute une journée de canicule à suivre des gens dans la rue et dans des logements surchauffés. Tout est en ébullition. Tout est porté au paroxysme. Nous suivons la jeune étudiante qui découvre la ville en tentant l’impossible, décrire la ville, les pulsions de la ville. Et elle trouve tout comme le lecteur qui se laisse emporter et souffler par cette histoire aux mille facettes, aux cent personnages qui vivent l’amour, la peine, la douleur, la passion comme tous les gens doivent le faire dans la vie de tous les jours, dans la vie parce que rien ne peut arriver sans ces grands rendez-vous qui colorent, masquent, emportent et bousculent. Un roman singulier malgré ses parentés, bien senti et qui emporte. Que demander de plus ?

«On aurait dit juillet» de Josée Bilodeau est paru chez Québec-Amérique.

mardi 12 décembre 2000

Les petits bonheurs de la vie disent tout

Josée Bilodeau se fait discrète et attentive, brode sur sa vie, sur Montréal, une rue, un restaurant, une rencontre ou encore sur une échappée dans son pays natal. Elle fuit un homme qu'elle n'aime plus ou qu'elle aime encore trop.
Rien de spectaculaire. Nous nous laissons guider par l’écrivaine, caresser par ces gestes qui font que la vie est la vie. Elle excelle dans cet art de montrer le quotidien sans le maquiller. Nous nous prenons à sourire quand elle surveille un grand blond dans un autobus qui file vers le centre-ville de Montréal. Parce que c'est cela «Kilomètres» de Josée Bilodeau. Un monde de sourires, de regards, de petites attentions qui font que la vie est bonne et qu'on la savoure comme un café odorant. J'aime cette manière de montrer le bonheur sans sortir trompettes et percussions.
«Souvent, je vois cet homme passer. Nous avons commencé à nous sourire. J'ai amassé plein d'histoires sur ses trajets, sur sa démarche nonchalante. Ce soir, je le salue de la main. Demain, il entrera dans le café, prendra place face à moi, sur ta chaise libre.» (p.23)
Et nous y croyons! Nous y prenons plaisir. Josée Bilodeau note tout avec un bonheur rare dans ce récit qui tient du journal intime et de l'aquarelle. Jouant admirablement de l'ombre et de la lumière, elle garde une justesse sans faille.
«Moi je regarde le coucher de soleil sur mon pays, pour la première fois me semble-t-il, et je trouve que c'est vrai, que c'est beau, que l'or du ventre de cette terre se reflète parfois dans le ciel, comme maintenant, ici. J'oublie les kilomètres l'espace de ce coucher de soleil et contemple la mort douce du jour sur le pays de mon enfance.» (p.42)
Certains parlerons de mièvrerie. Pourtant, ce sont ces petits bonheurs qui font que la vie vaut la peine d'être la vie.

«Kilomètres» de Josée Bilodeau est paru aux Éditions Les Intouchables.