vendredi 17 avril 2015

MARIE CLARK NOUS CONVIE DANS SON INTIMITÉ


J’AI LU AVEC GRAND BONHEUR le carnet de Marie Clark. Surtout que j’ai l’impression d’avoir vu naître ce texte au Camp littéraire Félix, il y a quelques années, lors du premier atelier dirigé par Robert Lalonde sur le carnet d’écrivain. Nous étions six. Marie Clark, Marité Villeneuve, Francine Chicoine, Danielle Dubé, Monique Brillon et moi. Sous le regard de la toujours attentive Danyelle Morin, bien sûr. Un arrêt de quelques jours pour discuter, écrire, se gaver de mots et découvrir les chemins qui mènent peut-être à l’écriture. C’est lors de ce séjour que j’ai amorcé mon carnet L’enfant qui ne voulait plus dormir. Ce genre littéraire convient parfaitement à Marie Clark qui aime les promenades en solitaire, les randonnées en forêt où dans la montagne qu’elle surveille de la fenêtre de sa maison. Enfin, j’ai pu découvrir Petites leçons d’orientation apprises dans le désordre dans sa totalité. Une lecture captivante.

Les écrits intimes m’ont toujours passionné. Ce fut la première forme d’écriture que j’ai fréquentée au milieu de mon adolescence, dans mon village où écrire était un péché que le curé Gaudiose aurait dénoncé en chaire s’il avait su. Inutile de dire que je ne n’ai rien avoué dans le confessionnal. Je vis en état de péché d’écriture depuis cette époque lointaine.
Je ne sais si le public est friand de ces textes qui montrent les chemins de l'écrit, retournent l’être et qui ne savent que dire les hésitations, les hantises de celui ou celle qui cherche à devenir souffleur de mots. Les lecteurs ne s’arrachent pas les titres de la très belle collection Écrire des Éditions Trois-Pistoles et c’est dommage. Tous ceux et celles qui rêvent de voir leur nom sur la page couverture d’un livre devraient fréquenter ces écrivains qui jonglent avec des questions et des incertitudes qui hantent le manieur de mots. Parce que celui qui sait n’écrit pas. Il y a bien les travailleurs de la phrase qui ne cessent de varier une action sur un même thème sans trop se préoccuper de l’embarcation dans laquelle ils s’installent. Parce que la littérature, on ne le dit jamais assez, ne repose par sur une histoire ou quelques personnages. À peu près tout le monde peut inventer une intrigue avec un commencement, un drame et une fin. La littérature passe par une manière, un style qui révèle l’auteur, un rythme, une musique interne, une façon de dire, de voir et de se faufiler dans le quotidien. On identifie un écrivain comme on reconnaît la musique de Wolfgang Amadeus Mozart ou de Jean-Sébastien Bach. Marcel Proust a une manière inimitable, Robert Lalonde ou Gunther Grass, qui vient d’avoir la mauvaise idée de mourir, ont une écriture singulière.

MARCHEUSE

Marie Clark aime partir dans les champs, oublier les sentiers balisés, marcher au hasard, découvrir des coins perdus, surveiller les arbres, les oiseaux, tout ce qui vit et se manifeste quand on prend le temps de respirer et de voir. Elle ramène toujours quelque chose, une fleur, une feuille, souvent un haïku, un genre littéraire de plus en plus fréquenté au Québec. Je salue Carol Lebel, André Duhaime et Jeanne Painchaud. Francine Chicoine qui a pris la relève avec Louise Saint-Pierre pour créer le Camp littéraire de Baie-Comeau qui se consacre uniquement à ce genre littéraire. Une véritable école.

Ce sont des traces. Miennes. Un peu partout. Au hasard. Dans la neige de la cour, dans celle de l’écran. Suspendues sur la corde à linge ou à lignes. Toutes marques ténues que la bourrasque, la mémoire de mon ordinateur, efface. Mes efforts d’empreintes luttent. Contre le temps. À tous les temps. Perdent le plus souvent. Heureusement, je grave la petite attention du haïku. Ma manière à moi d’inscrire le présent. Durablement. Comme une grâce perpétue l’éphémère. (p.13)

Une manière de voir, d’être, d’emprisonner un moment dans une bulle qui ressemble à une goutte d’eau. C’est, je dirais, ce qui lui permet de fixer des moments de sa journée et de sa vie. Je comparerais cela à des poinçons que l’on enfonce dans le roc pour escalader une montagne. Des haïkus qui sonnent comme des coups de gong qui font vibrer le paysage.

des tournesols poussent
partout dans le potager
la touche du tamia (p.61)

Il y a aussi ces questionnements qui ne cessent de tourner autour d’elle comme ces oiseaux qu’elle nourrit et qui lui disent de vivre, d’être là encore et encore. Respirer, écrire, explorer, devenir la cartographe de son être, chercher les coutures de son corps et de sa pensée, oser affronter ses hantises, sa conscience de la catastrophe qui guette l’humanité avec l’exploitation inconsidérée des ressources.

Nous ne pouvons pas vivre comme nous le faisons. Pourtant, nous le faisons. Chaque jour de défi à notre planète nous rapproche de la catastrophe. Ce petit bout de terrain que j’ai emprunté à une banque. Mon îlot de terre franche au milieu du délire. Sur lui, je me dresse contre le vent. Cultive. Fais fructifier. Il n’y a rien à opposer au désespoir. Que la beauté. (p.69)

La plupart des gens préfèrent fermer les yeux et foncer sur les autoroutes, risquant l’hécatombe à chaque courbe. L’écrivaine ne peut se résoudre à cette inconscience. Elle se tient en marge, au cœur du monde, là où il est possible d’habiter le silence, de s’extasier devant les battements d’ailes d’une sittelle ou les facéties des colibris. Ou encore prendre le temps de se pencher sur un potager, biner, sarcler, participer à la générosité de la terre qui offre tant quand on fait un effort. La méditation par le jardinage.

EXCURSION


Marie Clark plante ses bâtons de marche dans le sol, scande des vers de Michel Pleau ou de Denise Desautels, revient sur des extraits qui se faufilent dans sa mémoire comme ces éclairs qui déchirent le ciel les jours d’orage. Écrire, se surveiller, se mettre en état de réceptivité ; marcher, recommencer, remettre ses pieds dans ses empreintes, toujours, trouver une joie immense en prenant un nouveau-né dans ses bras pour bercer l’avenir.

J’écris parce que je suis si peu douée pour la ferveur de l’instant. Pour rattraper mes pertes, mes manquements, mes distractions, mes absences. Pour tenter de les contenir, les consigner quelque part. J’écris pour nous, atteints que nous sommes tous au cœur, pour combler nos déficits à l’égard du sublime. J’écris sur les herbes couchées de nos sentiers, sur les traces de notre passage. Mes haïkus continuent de résonner bien après que je me suis tue. (p.115)

J’ai laissé des traces partout avec mon marqueur jaune comme je le fais toujours. Le carnet est devenu plein de paragraphes éclatants qui me parlent, m’accompagnent et me font sourire. Parce qu’on revient à ce carnet, il ne nous abandonne pas facilement. C’est une sorte de livre d’heures.
Une belle façon de retarder la bousculade du temps quand le soleil fait fondre un glaçon au bord du toit ou place une mésange devant vous qui ose demander : qui es-tu, que fais-tu ? Une façon de suivre l’écrivaine dans sa vie de tous les jours, ses tourments et ses questionnements, ses peurs et ses petits moments de joie. C’est ce que procure le métier fou et fascinant de l’écriture.
Un texte senti, émouvant et vibrant.
J’ai eu souvent l’impression d’être si près de Marie Clark que j’entendais sa respiration, le mouvement de son stylo sur le papier quand elle décide d’écrire avec son corps.
Un moment d’arrêt, de tendresse et aussi le bonheur de partager. Comme si l’écrivaine nous invitait à faire le tour de sa vie et nous laissait entrer dans l’intimité de ses effarouchements. Le carnet ne pardonne pas : il dévoile l’être, ce que personne ne peut voir à l’œil nu.


Petites leçons d’orientation apprises dans le désordre de Marie Clark a été publié chez Lévesque Éditeur, collection carnets d’écrivains dirigée par Robert Lalonde, 124 pages, 15,00 $.
http://www.levesqueediteur.com/petites_lecons_d_orientation_apprises_dans_le_desordre.php

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